Dans un précédent article, j’ai mentionné le changement, et l’influence que celui-ci peut avoir sur notre comportement face aux risques encourus (voir l’article sur Le changement).
En effet, le changement va de pair avec le risque. Il nous demande de sortir de notre zone de confort, de nous hasarder à l’inconnu et à l’incertitude. Car à chaque changement qui occurre dans notre vie, il y a forcément un risque associé.
Or, c’est le risque qui donne ce piment à la vie. Il nous rappelle ce qu’est, d’être vivant. Il nous permet de nous dépasser et d’atteindre des lieux que l’on croyait inaccessibles. Et contrairement aux croyances actuelles, tout le monde en est capable.
Voici un conte initialement écrit par Jorge Bucay qui illustre le propos à merveille. Je me suis permis de l’enrichir légèrement:
On appelait cet endroit, le Pays des plumes. Ce fut pendant des millénaires, un lieu merveilleux. En son sein, volaient avec grâce et en compagnie des oiseaux, des êtres ailés. Tels des anges, ils virevoltaients, transportant dans les cieux, plumes, rires et joie.
Mais au cours des siècles, le ciel se vit étrangement de moins en moins peuplé. Personne ne put expliquer avec exactitude ce phénomène qui toucha doucement l’ensemble du pays. Cependant les historiens s’accordent à dire qu’un évènement majeur au cours de l’ère de Grâce, en est la cause. Marqué ensuite par l’apparition des véhicules mécanisés lors du siècle Sombre, qui signa le déclin définitif de ces êtres majestueux.
Leurs ailes devenues inutiles, le temps fit son travail. Et il fallut encore quelques centaines d’années, avant de voir disparaître ces magnifiques parures de plumes blanches. Puis un jour, se transformèrent en mythes, ces contes d’êtres autrefois capables d’accompagner les oiseaux.
En cette ère du Réalisme, chaque siècle voyait l’apparition de quelques rares descendants munis d’ailes blanches. Bien qu’élevés au rang d’êtres au destin fabuleux, leurs ailes n’étaient malheureusement plus qu’ornement… aux yeux des incrédules.
… Lorsqu’il eut atteint sa majorité, son père lui dit:
“Mon fils, nous ne naissons pas tous avec des ailes. S’il est vrai que peu d’entre-nous sommes encore chanceux d’en être munis, elles sont surtout bien plus qu’une bénédiction.
– Mais personne ne sait voler. Ce n’est plus qu’affabulation et légende pour faire dormir les enfants”, répondit le fils.
“C’est vrai… du moins, tant que tu décides de le croire”, dit le père.
Et, en marchant, il l’emmena dans la montagne, au bord d’un précipice.
“Tu vois, mon fils? Ca, c’est le vide. Lorsque tu voudras voler tu viendras ici, tu prendras ton élan, tu sauteras dans le précipice et, en étendant tes ailes, tu voleras.”
Le fils hésita, avant de reprendre.
“Je suis à peine en mesure de déployer mes ailes. C’est la chute assurée.
– Même si tu tombes, tu ne mourras pas. Tu te feras simplement quelques égratignures qui te rendront plus fort pour le prochain essai”, répondit le père.
“C’est insensé, tu n’as toi-même jamais été capable de voler… n’est-ce pas?”, demande-t-il avec hésitation.
“Il n’est pas important de savoir si moi j’en suis capable, mais de puiser en toi les réponses pour comprendre ce dont toi, tu es capable”.
Le fils retourna voir ses amis à la ville, des camarades avec lesquels il avait partagé et évidemment, marché toute sa vie.
Ceux à l’esprit le plus étroit lui dirent:
“Tu es fou? Tu vas te briser le cou. Et à quoi servirait-il de voler de tes propres ailes, il y a des avions. Ton père est sénile. Il vit dans un autre temps, un temps qui n’a jamais existé.”
Ses meilleurs amis le conseillèrent:
“Et si c’était vrai? Vous avez bien des ailes. C’est tout de même dangereux? Pourquoi ne commences-tu pas en douceur? Essaie de te jeter du haut d’une échelle ou du sommet d’un arbre. Mais… des cimes?”
Le jeune homme écouta le conseil de ceux qui l’aimaient. Il monta au sommet d’un arbre et, rassemblant tout son courage, il sauta. Il parvint à déplier ses ailes, les agita dans l’air de toutes ses forces mais, sans surprise, se précipita à terre.
Avec sa bosse au front, il retourna voir son père.
“Tu m’as menti! Je ne peux pas voler. J’ai essayé de me jeter d’un arbre, et regarde le coup que je me suis donné! J’ai été ridicule. Personne ne peut voler. Le destin nous a juste joué ce mauvais tour, pour nous faire croire que nous pouvions un jour espérer y arriver. Mais c’est impossible.
– Mon fils. Pour voler, il faut créer l’espace d’air libre nécessaire aux ailes pour se déployer. Il est normal que tu n’aies pu étendre tes ailes d’une si faible hauteur.
– Mais c’est complètement stupide, j’ai eu de la chance de n’avoir sauté que d’un arbre. Si je t’avais écouté et plongé depuis le précipice, je serais probablement mort. Pourquoi me jouer une farce si cruelle?”, demanda le fils, le regard embué.
Avec compassion et fermeté, le père reprit “Avant tout, pour voler, il faut commencer par y croire. Et pour accomplir ce que l’on entreprend, il faut prendre des risques. Si tu ne veux pas, le mieux est sans doute de te résigner et de continuer à marcher”.
“Le risque, c’est la vie même. On ne peut risquer que sa vie. Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.”
Amélie Nothomb / Cosmétique de l’ennemi