Les Autres

Les Autres

Un jour qu’il se leva aux premières lueurs du soleil, un homme eut le sentiment d’avoir une révélation : “Je dois changer de vie!”

Déterminé à mettre en place son nouveau projet le plus rapidement possible, il décide de rester chez lui ce jour, et envoie un email pour prévenir son manager qu’il ne se sent pas bien. “Un petit mensonge ne fera de mal à personne” se dit-il.

Cette première épine retirée du pied, il se sent plein d’entrain et prépare son petit déjeuner. Une petite heure passe déjà, durant laquelle il navigue sur les forums tout en mangeant des oeufs brouillés. Il tombe alors sur une conférence de Pierre Rabhi, évoquant la relation de l’homme moderne à la nature : “L’être humain aime les boîtes. Il vit enfermé dans des boîtes, telles des briques de Lego empilées. Il utilise ensuite une boîte personnelle à quatre roues, ou un train de boîtes pour se diriger vers une boîte plus grande dans laquelle il y retrouve d’autres hommes.”

Amusé et choqué à la fois, il s’écrie alors : “Tout cela est vrai. Les seuls moments où j’ai un contact avec l’extérieur, ce sont les quelques minutes qui me conduisent au métro… et au milieu de l’air pollué de la ville. Je ne peux pas rester ici, enfermé dans des boîtes sans même plus avoir de contact avec la nature.” Transporté, il observe son environnement le regard changé. Au coeur de son pourtant bel appartement parisien, la lumière abonde à travers la grande fenêtre du salon, mais il se sent étriqué, étouffé.

Au pied de sa bibliothèque, assis dans le couloir il étale livres de voyage et d’histoire. Cherchant l’inspiration, il sort même ses livres de cuisine du monde puis va chercher son PC portable avec toutes les photos de ses voyages… et obtient enfin son déclic.

“Je vais en Amérique Latine! Le climat est bon, les gens sont accueillants, et je pourrai respirer à plein poumon. Je prendrai une petite maison avec de grandes fenêtres et travaillerai mon potager pour que l’air puisse caresser mon visage.”

Il est seulement midi, et l’excitation est à son comble, il s’imagine déjà entrain de découvrir un nouveau pays, avec ses couleurs, ses odeurs, ses sons… loin du tumulte de la ville.

Littéralement enivré, il appelle son ami pour déjeuner avec lui et lui parler de son projet fou.

Toujours survolté à l’idée de partir, il arrive à sa rencontre pour s’installer à leur bistrot habituel. Ce dernier remarque son énorme sourire : “Eh bah, il se passe quoi pour que tu sois aussi souriant? Et d’ailleurs c’est quoi cette tenue, tu n’es tout de même pas allé bosser comme ça dis-moi?

– Non non, j’ai pris ma journée. Et tu ne devineras jamais ce que j’ai décidé de faire!” lui répond-il toujours avec le même sourire.

Le visage renfrogné son ami reprend : “Eh, mais tu vas te retrouver avec une tonne de boulot à rattraper. Et puis ça va être mal vu de prévenir à la dernière minute.

– Ah, je n’y avais pas pensé… mais sinon, attend que je t’annonce la nouvelle.”

Mais il est aussitôt interrompu : “Met les bouchées double demain, et arrive avant ton manager pour lui montrer que c’était à titre exceptionnel. Ce serait con de te faire sucrer ta promotion parce que tu n’as pas voulu mettre ton réveil.

– Non mais je l’avais mis mon réveil et puis… attend, laisse moi parler s’il te plait. Tout ça on s’en fiche au final, parce que je voulais t’annoncer que je vais quitter mon job!” arrive t-il à se reprendre.

Il n’en fallait pas plus pour que son ami ne s’étouffe : “Hein, quoi… non mais qu’est ce que tu racontes? C’est quoi ce délire encore?

– Bah oui, je vais changer de vie!

– Toi et tes lubies… c’est comme la fois où tu voulais te mettre au saxophone. Et puis tu vas pas quitter ton boulot, tu gères une équipe, une super position, un bon salaire, ce serait stupide de laisser ça derrière soi.

– Je l’ai acheté le saxo.

– Et tu en as joué combien de fois?

– Oui, bah quoiqu’il en soit, je n’ai plus envie de tout ça. Je suis fatigué de me sentir utilisé et à la fois inutile… j’ai besoin de laisser le soleil embrasser mon visage, de respirer l’air frais de la forêt et tremper mes pieds dans l’eau cristalline d’une plage…

– Ah toi tu as encore lu tes bouquins de développement truc muche… mais reviens un peu sur terre. Tu vas faire comment sans boulot, sans argent, et que vont dire les gens, ta famille. Et tu feras comment sans amis, sans boulot. D’ailleurs tu vas faire quoi si tu arrêtes de travailler?”

Un poil hésitant, il répond avec sourire : “Euh, eh bien, je compte partir en Amérique Latine, peut-être en Colombie.”

La réponse de son ami n’en fut que plus équivoque et le reste du déjeuner se résuma à une série d’injonctions  : “Non mais c’est n’importe quoi, c’est super dangereux, tu ne peux pas y aller. Et puis tu vas faire comment avec ton appart, il est top, tu ne vas pas le laisser. Et il fait trop chaud, il y a des insectes partout, tu ne supporteras pas. Les gens ne parlent pas Français, tu ne pourras pas communiquer avec eux…”

La dure épreuve passée, il passe le reste de la journée à en parler à d’autres amis, de la famille, et des collègues…

 

Le lendemain matin, il sursaute au son de son réveil. Lentement il se déplace et prépare son petit déjeuner. Puis il observe autour de lui : “Je vis quand même dans un bel endroit, j’ai des responsabilités au travail, et j’ai tous mes amis ici. Ils ont sûrement raison, mieux vaut abandonner ce rêve… ma vie n’est pas si mal…”

 

“Nous envions le bonheur des autres, les autres envient le nôtre.”
Publilius Syrus / Sentences

 

Note: Citation sur les boites de Pierre Rabhi réécrite par moi-même
La conférence en Vidéo sur Youtube

5 Comments

  1. Slovak

    True story je pense qu on l a tous veçu jusqu au jour où nous prenons les devant et assumons notre changement.
    Bel article bel pensée bref vraiment àméditer

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