L’expérience des rats plongeurs de Didier Desor.
Basée sur l’expérience de la boîte de Skinner, psychologue comportementaliste des années 30, Didier Desor chercheur au laboratoire de biologie comportementale de l’université de Nancy, a réalisé une expérience similaire et fortement intéressante.
Remarque: Je n’irais pas dans tous les détails de l’expérience. Entre autre les phases de conditionnement et d’apprentissage pour vous épargner de la lecture. Par ailleurs, je n’ai malheureusement pas réussi à mettre d’illustration de la cage, mais la vidéo est disponible en ligne pour avoir une vision concrète de l’expérience. Le lien est là: le documentaire.
Dans une cage en plexiglas, composée de deux zones séparées par un tunnel étroit et immergé, six rats sont disposés ensemble. Dans la première zone, dite sèche, les rats attendent d’être nourris, tandis que dans la seconde zone se trouve une mangeoire mécanique. Après quelques dizaines de minutes, on constate que des comportements apparaissent, laissant place à des rôles pour chacun des rats. Car en effet, pour se nourrir, les rats doivent nécessairement s’adonner à la plongée pour aller chercher, puis ramener la nourriture dans la zone sèche pour la manger. Seulement, tous ne souhaitent ou ne peuvent pas plonger, ce qui en conduit certains à voler la nourriture des autres.
Premières observations:
Ainsi, voici les rôles que les rats établirent naturellement : deux nageurs exploités, deux non nageurs exploiteurs, un nageur autonome et un non nageur souffre-douleur:
En effet après de longues hésitations, un premier nageur a le courage de franchir le tunnel immergé pour récupérer une croquette. A son retour dans la zone sèche, une bagarre s’en suit le laissant les pattes vides. Ce dernier, désormais certain de sa capacité à franchir le tunnel, s’empresse alors d’y retourner. Bien évidemment à son retour, la même sanction l’attend. Deux des rats restés dans la zone sèche s’occupent de voler son butin au rat, ainsi qu’au second nageur suffisamment courageux pour y aller également. Tous deux obligés de continuer à rapporter de la nourriture tant que les deux autres ne sont pas rassasiés, avant de pouvoir enfin se nourrir.
Un autre rôle intéressant se dégage. Celui du nageur autonome, qui fort de son courage et sa ténacité, résiste aux assauts des deux exploiteurs et emporte dans un coin de la zone sèche ses denrées.
Tandis que le sixième rat, lui se contente de manger les miettes qu’il peut trouver dans la zone sèche, étant incapable de lutter pour voler la nourriture, et manquant de courage pour aller nager.
Cette expérience fut reproduite dans 20 cages similaires, avec des groupes différents. La même structure s’est vu dessinée à chaque reprise, avec une répartition quasi-identique. Trois nageurs et trois non nageurs globalement.
Ma question: Est-ce que les rats seraient uniquement régis par la force, le plus gros et le plus costaud qui décide comme au collège?
Dans ma tête: Bah oui, l’animal est soumis à ses instincts basiques et n’est pas capable de réflexion… non? c’est pas ça? et le cortex reptilien?
Spoiler: Non
Secondes observations:
Afin d’éliminer certaines hypothèses telles que l’incapacité à nager de certains rats ou des handicaps physiques, Didier Desor réitère l’expérience avec une différence fondamentale. Sélectionnant ce coup-ci des échantillons de rats dont les rôles étaient similaires dans la première partie de l’expérience. Ainsi, dans chaque cage sont réunis six rats souffre-douleur, puis six rats dominés, ou encore six rats dominants etc.
Le résultat fut là encore très intéressant puisque la même structure hiérarchique s’établit. Des six rats dominés, se dégagent deux rats désormais non nageurs, deux rats toujours nageurs, un rat autonome ainsi qu’un souffre-douleur.
Mêmes résultats avec des échantillons différents. Par conséquent, on peut avancer que ce ne sont pas des éléments uniquement dépendants des rats qui déterminent leurs rôles, mais le contexte dans lequel ils sont placés.
Ma question: Est-ce que les rats seraient capables de créer un ordre social, un système pyramidal avec des rats qui se dorent la pilule pendant que d’autres triment?
Dans ma tête: Bah, un peu comme l’Homme. On a bien créé des castes de dirigeants et de politiciens non?
Spoiler: Non
Troisièmes observations:
Un autre point qui étoffe les résultats précédents, est le rôle de la peur et du stress. Jusque là étaient abordés uniquement les compétences physiques des rats, mais une autre hypothèse avancée est la capacité du rat à générer et gérer son stress.
Ainsi, lors d’une autre expérience parallèle, des rats sont traités avec un anxiolytique. Et là encore, dans l’ensemble des échantillons, les rats traités, devinrent tous des rats nageurs.
Ma question: Donc le monde serait meilleur si on prenait tous des anxiolytiques?
Dans ma tête: Bah, on aurait enfin plus d’assistés si tout le monde se met à faire son boulot, non?
Spoiler: Non
Parallèle éthologique et analyse sociale:
Au regard de ces nouvelles hypothèses, Didier Desor décide de les corroborer avec une professeur des écoles. Ainsi, se dégagent les idées de contexte social et de compétences, qui sont facilement parallélisables dans un environnement scolaire. Toute individualité a des prédispositions pour une activité ou une autre, qu’elle soit cérébrale ou physique. On se rappelle tous les salles de classe, avec cet élève qui prend systématiquement la parole pour un exercice mathématique, ou cet autre camarade qui veut toujours lire etc.
Et lors du cours d’éducation physique, on choisissait toujours les mêmes en premier… et on gardait toujours les mêmes pour la fin. Pourtant ces mêmes premiers au sport, n’étaient pas forcément les plus brillants en histoire ou en philosophie. A chacun ses prédispositions, et ses lacunes, chaque groupe est constitué avec chaque personne a sa place. Place qui heureusement n’est nullement figée car les êtres vivants savent s’adapter.
Il semblerait qu’il en soit de même pour les rats, qui en fonction du contexte et des capacités de chacun des membres du groupe, voient des individualités se dégager naturellement. Ceci expliquerait pourquoi des rats qui dans la première expérience ne nageaient pas, deviennent nageurs dans un second temps car bien que “piètres” nageurs, ils sont désormais les plus aptes pour aller récupérer la nourriture.
Enfin, dans la dernière partie de cette vidéo, Didier Desor accompagné du défunt Jean Marie Pelt biologiste et écologue émérite s’attardent plus encore sur l’aspect socio-comportemental chez les rats (je vais être honnête, je ne le connaissais pas).
Leur approche est qu’effectivement, les rats semblent coopérer. Au sein d’un groupe constitué aléatoirement, chacun prendra son rôle afin d’assurer la survie de tous. Et chacun des groupes se verra organisé systématiquement toujours dans l’optique de coopération.
D’autres parallèles sont abordés, en particulier sur le caractère autorégulateur de la nature et l’harmonie florale qui existe naturellement. Je peux moi-même citer les lions et les lionnes, qui respectivement défendent le territoire, et chassent. Ou encore les abeilles qui pollinisent les fleurs.
En conclusion, tous deux s’accordent à dire que la nature coopère, que les comportements agressifs que l’on peut observer, n’ont pour but que la survie du groupe et que la “Loi du plus fort” ne régit pas l’ordre des choses. En somme, l’homme devrait s’inspirer des royaumes animal et végétal pour vivre en harmonie.
Petite note: Si cette approche vous intéresse, vous pouvez lire son ouvrage “La raison du plus faible”. Mais comme pour toutes les informations que l’on peut trouver, je vous conseille de prendre du recul car même paroles d’évangile ne trouvent pas d’oreille pour tous.
Et ma vraie conclusion dans tout ça:
Pendant des années, je n’avais qu’entendu parler de cette expérience, sans jamais m’être véritablement attardé sur les conclusions qui en avaient été tirées. Ainsi, j’ai toujours interprété celle-ci comme étant une représentation assez sommaire de la société occidentale dans laquelle nous vivons.
Je l’ai souvent utilisé pour illustrer les interactions dans un groupe, entre amis, entre collègues ou même entre inconnus.
L’idée étant qu’au sein d’un nombre limité d’individus (à l’instar du petit nombre de rats dans chacune des expériences), va très vite apparaître des personnalités plus “fortes”. Ils sont ceux auxquels la nature donnent le titre d’alpha ou de dominant. Il peut prendre diverses formes, menant la discussion au cours d’un dîner grâce à sa culture générale, ou ses innombrables anecdotes. Parfois il s’agira d’un collègue drôle et amusant ou de ce voyageur aux aventures captivantes. On remarquera par ailleurs qu’il n’est jamais désigné, mais qu’il se voit désigné “naturellement”, et que les gens écoutent souvent volontiers leur orateur.
J’ai longtemps observé ce genre de situation sous un angle assez simpliste. Considérant que certaines personnes sont plus à même de s’imposer, de diriger, d’être des leaders, tandis que d’autres sont plus effacées. J’ai aussi constaté qu’une personne pouvait ne pas avoir le même rôle au sein de groupes différents, pour diverses raisons, timidité, stress, appréhension… (là encore, comme pour l’expérience des rats)
Je pense que l’on a tous expérimenté ce genre de situations, que ce soit durant votre scolarité, en tant qu’adolescent ou même en tant qu’adulte aujourd’hui, au travail ou avec vos amis. Essayez d’identifier pour vous amusez les rôles de chaque personne présente dans un contexte social particulier, puis leurs rôles dans d’autres situations. Vous pouvez même essayer d’identifier vos propres rôles par ailleurs, mais il est toujours plus difficile de prendre du recul sur soi, et d’être objectif.
Dans le cadre d’un groupe plus important, le parallèle est possible mais souvent plus délicat. Car même si on prend l’exemple des structures hiérarchiques dans les entreprises, ou des partis politiques, quel leader n’est pas décrié par les membres du groupe.
Un dernier point que je voulais aborder, était celui du bon et du mauvais alpha. Car imposer sa présence aux autres, se faire remarquer et monopoliser l’attention ne sont pas nécessairement des signes positifs. C’est pourquoi je mettais des guillemets plus haut lorsque je parlais d’individu qui était désigné “naturellement”. L’ego et le manque de confiance peuvent être des moteurs pour se rassurer auprès d’un public “aveugle”.
J’aimais à penser que j’étais moi-même un bon alpha, un leader que l’on écoute et respecte, un être important dans la vie des autres. Avec les années, j’ai compris que ce délire mégalomane n’avait aucun fondement, une invention de mon égo pour alimenter mes névroses.
Heureusement, j’ai remis les pieds sur terre, et pris du recul sur mon comportement. Aujourd’hui je me contente d’être moi, avec mes défauts et mes qualités, si je suis parfois alpha, et bien tant mieux, et si je ne le suis pas, et bien tant mieux aussi.
Laissons à qui le veut, ce rôle d’alpha, surtout si ça l’aide à atteindre un peu de sérénité un jour.
“Qui domine les autres est fort. Qui se domine est puissant.”
Celui qui s’excuse jamais c’est un Alpha !
Ou un mauvais Alpha 😉